Alex Andrix avait déjà collaboré en octobre 2018 avec le Laboratoire de physique pour une œuvre intitulée "Variations physiques"
Portraits, n°1 : Nanonoise
Portraits est un format de collaboration art/science initié par l’artiste numérique Alex Andrix.
Le principe est simple, l’artiste s'immerge dans le monde et le travail d'un scientifique pour créer une œuvre d'art.
Alex Andrix a une formation scientifique qui lui permet de comprendre autant que possible les théories qui se cachent derrière les expériences. Dans un premier temps, il se nourrit de publications et de livres sélectionnés par le chercheur, il s'exerce ensuite lui-même aux calculs qui lui serviront d'inspiration pour la structuration de l'œuvre.
Pour cette première collaboration – Portraits, n°1 – l’immersion s'est faite à l’ENS de Lyon, au Laboratoire de physique, avec Ludovic Bellon et son équipe. Alex Andrix a profité d’un moment unique au début du mois de février puisqu’une cage de Faraday anéchoïque venait d’être livrée et n’allait pas être occupée avant le mois de mars.
Une cage de Faraday est un espace totalement isolé de tout type de rayonnement électromagnétique extérieur (téléphone portable ou radio). Anéchoïque signifie que tous les murs sont recouverts de mousses qui empêchent la réverbération du son. Si deux personnes parlent dans cet espace, elles ont l’impression d’être sur un sol recouvert de 50 cm de neige fraîche.
Au cours de cette collaboration, Alex Andrix a eu à plusieurs reprises l'occasion de s'isoler dans la cage pour une exploration artistique :
- temps passé seul dans la cage - 11h30, avec un maximum de 4h d'affilée
- temps passé avec Denis Lecoeuche, compositeur de musique avec qui il a enregistré des sons - 2h30
- temps passé à lire ou à noter certaines équations - 6h
- temps passé à créer l'œuvre - 8h
- temps passé à écrire - 6h
Nanomécanique, physique statistique et bruit thermique
L'équipe de Ludovic Bellon travaille à une échelle réellement minuscule, le nanomètre, c'est-à-dire environ la taille de dix atomes, soit 1/10 000 000 de la largeur d’un doigt. Le nanomètre n'est que l'échelle d'entrée, la vraie finalité est de toucher la surface de la matière, de la balayer et de la cartographier avec la plus grande précision. Pour descendre sous cette échelle, il est nécessaire d’utiliser des techniques impliquant l'interférométrie, c'est-à-dire la détection de petites perturbations de la trajectoire de faisceaux laser.
Il existe une approche en deux étapes pour atteindre la précision nanométrique dans la cartographie d’une surface atomique.
Tout d'abord, en prenant une petite pointe (15µm de long et avec seulement quelques atomes sur la pointe) et en la rapprochant manuellement de la surface. Avec cela, il est possible d’atteindre une proximité micrométrique. Ensuite, l'astuce consiste à incorporer cette sonde dans une céramique piézoélectrique. La piézoélectricité est une propriété de quelques matériaux solides qui réagissent à une tension électrique en se déformant légèrement. Avec plus ou moins de tension, il est possible d’obtenir le contrôle de la position de la sonde avec une précision nanométrique.
Une fois obtenue, il suffit de déplacer la petite sonde sur la surface afin de mesurer la force entre les atomes de surface et la pointe de la sonde. Dans le cas de la STM (Scanning Tunneling Microscopy), il faut mesurer la quantité de courant échangée entre la sonde et la matière, c'est-à-dire le nombre d'électrons qui franchissent l'espace vide entre la pointe et l'échantillon par effet tunnel (effet quantique) lorsque la sonde garde la même altitude. Comme les variations de courant sont très sensibles au voisinage des atomes, il est possible d’atteindre une précision sub-nanométrique, jusqu'à 10^(-13) m.
Note : La STM est l'une des nombreuses façons de mesurer l'interaction entre les atomes, le terme plus général est AFM, pour Atomic Force Microscopy.
Le dernier point délicat est de chercher à réaliser cela rapidement, car s’il est nécessaire de passer 1 seconde pour chaque ångström (unité de valeur valant 0,1 nanomètre) à écrire la valeur actuelle avant de déplacer la sonde, il faudrait 2 mois pour scanner une seule ligne d'atomes sur l'épaisseur du bout d’un ongle.
Une bonne façon de balayer la surface assez rapidement est d'appliquer une oscillation sur la position verticale de la sonde qui fournira des mesures en réponse fréquentielle pour le courant électrique, afin de remonter par analyse à la position des atomes.
Mais demeure un autre défi : à cette échelle, la matière a une certaine excitation thermique. En effet, la température est une mesure de l'agitation des particules qui dansent naturellement et ne s'arrêtent jamais. C’est ce que l’on appelle un mouvement brownien, une forme de déplacement erratique décrite pour la première fois au début du XIXe siècle.
Les recherches de Ludovic Bellon s'articulent autour de l'étude de la vibration naturelle des sondes inanimées due à la température, sans qu'elles effectuent aucune opération de sondage de matière.
L’œuvre
Article d'Alex Andrix sur la réalisation et le sens de cette œuvre.
Sources
Ludovic Bellon a conseillé à Alex Andrix un certain nombre de lectures, il lui a indiqué également quelques-unes de ses propres publications :
- Les Nouvelles microscopies: À la découverte du nanomonde. Aigouy, L., De, W. Y., Frétigny, C., & Laguës, M. Belin, 2006
- Exploring nano-mechanics through thermal fluctuations. HDR de Bellon, L. 2010
- Mouvement brownien et réalité moléculaire. Jean Perrin. Biliothèque Nationale de France, 1909
- Article Wikipedia sur le Mouvement Brownien
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